Exilé de Johnnie To (2006) par Tootsif

JOHNNIE ALLUME LE FEU.

Macau, 1998. Wo s’est retiré du milieu et mène une vie paisible avec sa famille. Mais quatre tueurs à gages venus de Hong Kong, d’anciens « collègues de travail », se rendent chez lui. Deux d’entre eux ont pour ordre de tuer Wo.

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Fin 1980 – début 1990 Hong Kong retrouvait la grandeur cinématographique qu’elle avait connu entre 1960 et 1970 avec les films de kung-fu et de wu-xia produits par la Shaw Brother et la Golden Harvest. La raison de ce retour au premier plan de l’ex colonie anglaise tient en trois lettres : Woo.

John Woo en adaptant les codes de ces genres traditionnels (dans lesquels il avait débuté sous le regard de l’immense Chang Cheh) au polar et en dynamisant le tout à coup de gunfights hallucinant remis donc l’île sur le devant de la scène cinématographique. Malheureusement pour Hong Kong se dernier fut attiré par les sirènes hollywoodiennes et cette dernière se retrouva orpheline. Tout semblait donc parti pour assister à un nouvel écroulement du cinéma hongkongais et de son nouveau genre roi, le polar.

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Mais, dans la deuxième moitié des années 90, un réalisateur qui jusque là n’avait pas encore fait de films totalement marquant devint le porte drapeau du polar hongkongais. Son nom : Johnnie To. Jusqu’en 1996, ce dernier n’était qu’un réalisateur parmi tant d’autres mais cette année là il décida de créer sa propre maison de production ce qui lui permit d’acquérir l’autonomie de ton qui lui faisait défaut.

To se mit alors à enchaîner les polars dans un genre différent de Woo et portant certes sur des thèmes assez proches hérités des films de sabre (honneur, respect de la famille, vengeance…) mais avec des angles d’attaque variés (« Breaking News » sur le pouvoir des médias, « Election » 1 et 2 sur le mode de fonctionnement des Triades, « Mad Detective » sur un angle plus fantastique).

Et « Exilé » dont je vais maintenant vous parler est l’un des chefs d’œuvre réalisé par Johnnie To car c’est une œuvre à la fois classique du genre et différent. Classique car l’on reconnait de suite le « style Johnnie To ».

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Un style à la fois proche et différent de son confrère John Woo et qui lorgne sur le japonais de Takeshi Kitano. Proche de Woo car comme lui on retrouve dans ses films (et Exilé ne fait pas exception à la règle) les codes du Wu-Xia : les protagonistes sont respectueux d’un certain code de l’honneur où fidélité à la famille, aux amis, à l’organisation à laquelle on appartient (et ces dernières relations entrant souvent en confrontation créant ainsi un dilemme chez les protagonistes : ainsi dans « Exilé » le personnage interprété par l’excellent Anthony Wong est partagé entre la  loyauté qu’il doit à son boss et l’amitié qui le lie à sa cible), désir de vengeance (du proche tué, de l’honneur blessé) sont les maîtres mots.

Mais en même différent de John Woo car la violence, si elle est là aussi magnifiquement mise en scène (la fusillade chez le médecin clandestin est à couper le souffle avec ses rideaux qui volent), est ici sèche et brutale, se rapprochant ainsi de Takeshi Kitano. La parenté entre les deux est d’autant plus vraie que là aussi on retrouve l’humour noir que Kitano utilise pour ses films de Yakuzas.

« Exilé » a donc un lien plus qu’évident avec les autres polars de Johnnie To avec ces héros semblant sortir d’un autre temps, avec leurs codes dépassés par le monde qui les entoure (dont le rôle interprété par Simon Yam est l’illustration parfaite, chef de Triade dont l’unique objectif est la recherche du profit, bien loin des « valeurs traditionnelles » de ces organisations) dont les changements s’accélèrent (ainsi les films américains sont maintenant marqués du sceau d’un sentiment post-11 septembre, d’ailleurs souvent vu à tort et à travers, le cinéma Hongkongais est marqué par la rétrocession de leur île à la Chine, faisant baigner leur cinéma dans une peur d’un avenir incertain et d’une profonde mutation).

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Nos héros sont donc exilés. Exilés de Hong Kong certes, mais cela va bien plus loin, ils sont exilés de leur mode de vie, de leurs valeurs, ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes, seule manière de se rappeler ce qu’ils sont et ce en quoi il croit alors que tout change autour d’eux. C’est pour cela que le film repose sur un rythme proche de celui de « The Mission », autre merveille du réalisateur.

En effet, on retrouve ici un rythme binaire, les moments de bravoure alternant avec les moments de relaxe. Ces respirations à l’intérieur du film et de l’intrigue sont assez hallucinantes de par leur caractère tellement banal que c’en est irréel (alors qu’ils viennent tout juste de tenter de s’entretuer nos compères rangent l’appartement, monte le mobilier et mangent ensemble avant que tout ceci ne finisse en vaste éclat de rire à la découverte d’une balle dans une tasse) et surtout elles montrent bien la nostalgie qu’éprouvent les protagonistes face à l’époque révolue de leur amitié où tout semblait plus simple.

Mais « Exilé » est aussi un film diffèrent qui transcende le « style Johnnie To » lui évitant ainsi d’être simplement un polar de plus réalisé par ce dernier. En effet, dès l’introduction on sait que Johnnie To a fait plus que simplement se copier. Tout de suite une image s’impose à nous-mêmes, ce n’est pas qu’un polar mais aussi un western, tous les plans, les mouvements de caméra le font penser (alternance entre plans larges et gros plans, ces derniers s’arrêtant sur des détails comme une main qui laisse tomber la cendre de son cigare).

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Le rythme lent, la musique entêtante puis la colorisation (avec ce départ en voiture sous des teintes ocre qui s’enchaine par une traversée de collines rocailleuses et sablonneuses) se mettent au diapason pour donner au film une dimension supérieure et une aura crépusculaire. Car n’est ce pas le meilleur des choix que de faire d’ »Exilé » un western ? Les personnages derniers représentants d’une époque révolue ne sont ils pas tels des pistoléros, enfermés dans leurs traditions désuètes et voués à disparaître face à la modernité ?

Johnnie To mélange les genres pour raconter son histoire brute, épurée à l’extrême faisant de nos cinq héros le centre de sa tragédie. Beau, puissant, virtuose, moderne et classique à la fois, « Exilé » est la quintessence du polar asiatique dont Johnnie To est le maître. Une pièce maîtresse d’un artiste de génie.

Magnifique!!!
Magnifique!!!

 « Exilé » de Johnnie To. Distribué par Gie Sphe-TF1. Avec Anthony Wong Chau-Sang, Francis Ng Chun-Yu, Nick Cheung, Durée: 1h40.

6 commentaires

  1. mea culpa pour la (très) grosse erreur qui plombe cette chronique : c’est Johnnie et non Johnny qu’il faut lire (ça m’apprendra à jamais me relire et ça la fout mal pour un fan de ciné asiat
    )

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  2. Je ne suis pas aussi enthousiaste que toi, j’ai trouvé ce Johnnie To un peu surfait, kitsch et surtout beaucoup moins inspiré que ces précédentes réalisations. Seuls points positifs, des scènes
    d’action très impressionnantes et une gestion de l’espace toujours optimale. Un bon divertissement en somme. 

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  3. @ Bruce : merci chef !

     

    @ alimassmoun : ben tu vois moi je trouvais que Johnnie To s’essouflait (l’affreux Vengeance) depuis quelques temps (malgré des tentatives de renouvellement cependant pas toujours bien exploitées
    cf Breking News et Mad Detective) et là j’ai retrouvé la claque que The Mission, PTU m’avaient filé.

     

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