La dimension politique dans Star Wars: Aux confins de l’Histoire.

Star Wars est un patchwork d’influences diverses et variées qui font de l’univers de Lucas une franche réussite. En fait, l’œuvre de ce grand entertainer est une vaste entreprise de recyclage: geste chevaleresque médiévale, heroic fantasy, tragédies grecques (notamment celles de Sophocle tel Œdipe Roi), science-fiction plus ancienne et histoire politique antique.

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Je vais m’intéresser ici à cette dernière influence qui traverse et survole toute la prélogie. C’est certainement la plus difficile à cerner pour le grand public. Attention, je ne veux pas dire par là que je suis plus intelligent que la moyenne (ça se saurait), seulement que pour saisir toutes les subtilités politiques dont Lucas a inondé sa trilogie il faut avoir des connaissances de l’Histoire antique (chute de la République romaine, système de dictature, cosmologie antique…).

De la protohistoire à la civilisation (ou est-ce l’inverse?).

La force principale de l’épopée de Georges Lucas est l’ordre dans lequel elle nous est contée. La première trilogie nous renvoie à l’époque des mythes, de la protohistoire et à l’obscurantisme le plus outrancier. Cet univers froid rappelle les mondes pré-romain. La seconde trilogie, avec son système politique complexe et étudié en détail (alors que la simplicité, voire la naïveté politique de la première pouvait énerver) évoque la civilisation, la lumière et l’évolution. Oui mais il y a un hic. L’histoire est racontée à l’envers. L’époque la plus sombre est donc née de la civilisation. Cet avertissement que nous adresse Georges Lucas est un des nombreux exemples prouvant que son épopée est plus subtile qu’il n’y paraît. Et même si on pense à l’enchaînement Antiquité/Moyen-Age, il n’est en rien comparable. Nos idées préconçues, hélas transmises en partie par le cinéma qui se fourvoie coup sur coup lorsqu’il aborde cette période, nous empêchent de voir que le Moyen-Age se pose en héritier de l’Antiquité.

Cosmologie romaine.

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La cosmologie romaine est assez simple à comprendre. En simplifiant au maximum on peut dire que leur monde est construit sur le principe: Nous par opposition aux Autres. Le barbare, c’est l’étranger, celui qui n’est pas romanisé, qui est au ban du monde civilisé. Les conquêtes effectuées sous la République ont agrandi considérablement les possessions romaines. Deux conséquences: les gouverneurs (César, Pompée) amassaient prestige et fortune en même temps que grandissait leur ambition personnelle et l’étirement des possessions rendaient difficile leur gouvernement.

On retrouve cela dans l’épopée galactique qui nous occupe ici. On a un puissant centre politique et culturel (Coruscant) qui diffuse les idées civilisatrices aux autres mondes plus ou moins éloignés. On a une dynamique centre==)périphérie. Oui mais les Romains étaient tolérants et ouverts d’esprit, ce qui a permis la dynamique inverse. C’est le cas ici aussi, les «provinciaux» pouvant accéder au Sénat (Amidala, Jar Jar). La géographie galactique est donc très importante pour qui veut comprendre la subtilité politique. La République est en expansion (entendez la civilisation) mais plus elle croit plus il y a de représentants au Sénat, plus elle devient inefficace et fragile. C’est donc de l’évolution que naît la régression. La carte ci-jointe montre bien l’immensité de cette galaxie:

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La volonté d’un homme, l’inefficacité d’un régime.

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Palpatine est le méchant, le génie du mal à l’œuvre en coulisses. Son plan machiavélique pour s’emparer de la République est parfait. Il vise à maintenir la paix (il dénonce la faiblesse des Jedis) et à satisfaire sa soif de pouvoir.

Pourtant, et c’est une dimension essentielle également empruntée à l’Histoire: l’ambition et les plus grands dictateurs sont nés de l’inaction. Ils s’engouffrent dans l’immobilisme.

Palpatine est partisan de l’action et de la force. Il veut la paix, tout comme les Jedi, mais est prêt à sacrifier la démocratie pour cela. Ce combat politique symbolise l’opposition entre les deux côtés de la Force. Les Jedi sont les gentils de l’histoire mais c’est en partie de leur faute si la République prend fin. Ils caractérisent l’immobilisme de ce régime politique. Ils subissent chacun des évènements, ils n’en sont pas acteurs. Le message est clair d’autant que c’est une Vérité historique. Lorsque le Bien (entendez les pouvoirs légitimes et démocratiques) reste embourbé et se refuse à agir par indécision, on observe un grand affaiblissement du régime. C’est vrai pour Rome, comme pour l’Allemagne d’après guerre. Il en résulte une montée en puissance du Mal (entendez des ambitions personnelles) qui pense que par son action le redressement de la situation sera plus efficace. Peu importe le nom: Hitler ou Palpatine. Et bien que ce soit réellement efficace au début (la fin de l’épisode III le montrera clairement), ce n’est que plus tard que l’on constate les bourdes qu’on a commis en laissant de telles ambitieux jouer avec le pouvoir (hélas la première trilogie ne le montre pas clairement).

La revanche des Siths: l’aboutissement politique.

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Le cœur du film. Les Jedi, à l’approche de la fin, demeurent toujours aussi inactifs. Seul le conseil et Yoda se décident à agir mais il est déjà trop tard. La plupart d’entre eux mourront dans l’ignorance la plus totale (ironique connaissant leurs pouvoirs), tués par des êtres déshumanisés -des clones- en passant pour des traitres aux yeux du monde. La vision de Lucas est pessimiste et désenchantée. Il décrit l’impossibilité d’un régime démocratique à agir pour se protéger alors qu’un seul homme manipule les masses anonymes représentées par les clones et le sénat.

– ‘Ainsi s’éteint la liberté. Sous des applaudissements.’ Padmée au sénat.

Cette phrase explicite bien la pensée de Lucas et l’immobilisme du pouvoir. Si le sénat représente la masse anonyme (on les voit de loin, comme des formes floues) l’ordre Jedi représente la République. Il y a plusieurs choses à dire sur ce point. Windu et Yoda caractérisent l’inaction. Ils refusent le sang neuf, le renouveau apporté par Anakin et la fameuse prophétie. Windu se montre borné et paternaliste en voulant l’écarter des décisions. Ce qui a bien évidemment pour incidence de le pousser vers le seul qui l’écoute et le séduit: le contre pouvoir. Cette idée de la jeunesse mise à l’écart du pouvoir est intéressante car véridique. Le ton paternaliste et volontiers conservateur de la classe dirigeante peut conduire les jeunes vers les extrêmes. C’est la mission éducative que doivent se donner les dirigeants pour protéger la démocratie. Yoda est la personnification de la République. Il est lent, presque immobile sauf lorsqu’il se décide à agir. Ce qu’il fait au dernier moment. Et ce n’est pas innocent si Palpatine et lui se balancent les sièges du sénat dans la tronche. Mais à cause des erreurs commises en amont, il est trop tard:

– “En exil je dois partir, mon échec je reconnais.” Yoda.

Et voilà comment un régime s’effondre. Le film est une mise en garde.

Venons en à l’autre côté de la médaille, Palpatine, le moteur de la prélogie. Il achève son plan: satisfaire sa soif de pouvoir, éliminer ses opposants (les Jedi) et ramener la paix (les séparatistes). Tout cela en pervertissant la jeunesse élevée par l’ancien régime (Anakin devient Dark Vador). On voit bien qu’il est un produit de la République lorsqu’il est défiguré. Il n’a plus de visage (par l’action de Windu) et devient un mal insidieux, sournois qui se répand comme la gangrène. Lorsqu’il observe la colère de Vador à l’extrême fin du film, avec un sourire en coin, le triomphe est total. Un dialogue caractérise bien le personnage:

–  » Au nom de l’Assemblée Galactique du Sénat de la République, vous êtes en état d’arrestation.

– Vous osez me menacer!

– Le Sénat décidera de votre sort.

– C’est moi le Sénat!

– Pas encore.

– L’heure est à la trahison, alors.  »

Mace Windu et Palpatine

mace

Politiquement parlant, la prélogie est bien plus intéressante que la trilogie originelle (n’en déplaise aux fans hardcore). Dommage que cette dernière pêche sur ce point, même si c’est pourtant compréhensible on est plus dans le mythe, la légende et donc le mystère. Elles sont pourtant parfaitement complémentaires (symbolisme œdipien pour l’une et analyse politique pour l’autre) et soumises à une certaine cohésion. L’interprétation politique de son univers permet à Lucas de faire un cours d’Histoire en forme de mise en garde. Ce sont des actions isolées et jugées sans importance qui conduisent aux régimes les plus impensables: Padmée qui permet l’élection de Palpatine, Jar Jar qui lui donne les pleins pouvoirs, Anakin qui tue Dooku. Il nous appartient de nous méfier, de ne pas rester inactif, indécis et de ne pas prendre les acquis pour inaliénables.

Georges Lucas a donné ses lettres de noblesses au Space Opera, permettant à d’autres œuvres de s’y engouffrer. Il ne faut pas oublier que plus éloignés de nous semblent être les évènements fictionnels plus ils sont voisins de la réalité. Dans une galaxie lointaine mais pourtant si proche…

10 commentaires

  1. Jolie analyse Flow !
    Il est hélas dommageable que la dimension politique qui est pour moi la meilleure chose de la seconde trilogie ne soit hélas pas son cœur.
    Car cette dernière nous montre ses meilleurs passages quand Lucas se concentre sur les joutes et discussions politiques.

    Pas de pot il s’est concentré sur un ado qui pique sa crise et une romance merdique.

    Pour plonger au coeur de cette dimension politique il faut se plonger dans les romans et les comics

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    • Merci, mais pour moi, c’est réellement le cœur du récit, dans lequel Palpatine tient le premier rôle. Le reste gravite autour mais reste secondaire à mes yeux et s’enchâsse dans le plus vaste tableau politique.
      Mais c’est la meilleure chose en effet!

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  2. Quand tu parles de perversion de la jeunesse ça renvoie du coup aux jeunesses hitlériennes et à la fascination qu’exerçait Hitler sur elles. D’ailleurs je vois plus en le côté obscur une parabole du nazisme c’est d’autant plus flagrant avec le choix des couleurs des uniformes, hors stormtroopers, de l’Empire.

    En tout cas c’est une très belle analyse Flow!!

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  3. Très bon article, intéressant sur bien des points.
    Pas fan de Star Wars, je n’ai vu la « nouvelle trilogie » qu’une fois, et n’avait pas vu tout les tenants et aboutissants lors de ce visionnage.

    Merci de ces éclaircissements.

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  4. […] Comme nous nous sommes dit que vous alliez franchement vous ennuyer la semaine qui vient en attendant la sortie de ce 7ème opus de la saga, Star Wars – Le réveil de la force – que l’on a décidé de vous proposer un retour en arrière avec les critiques des 6 premiers volets ainsi que des articles connexes du même style que celui que vous avez pu lire cette semaine: La dimension politique dans Star Wars – aux confins de l’histoire. […]

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